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Souvenirs sensitifs épars

Ces faits ont eu lieu au cours des années 2010 et ont été partagés par une communauté spontanée à un moment T, avec une échelle de ressenti plus ou moins forte selon les individus. Les membres de cette communauté éphémère n’ont d’aucune façon cherché à se réunir de nouveau sciemment suite à cette expérience, la rendant, de ce fait, volontairement vaporeuse.

On déambule dans les rues de Bourges. C’est une nuit de printemps. La ville nous semble toute petite parce qu’on a faim.

On se dirige vers le W. Partout, il y a des gens un peu comme nous. On sourit et on fume et on boit.

Je ne me souviens plus trop exactement qui il y avait. J’ai tendance à mélanger les années, les gens, les visages, les prénoms. Je me souviens qu’on a mangé un sandwich plutôt dégueulasse et que A... est partie visiter la tente de la croix rouge ou alors c’était la veille.

Pendant un bon moment, il se passe ça : faire la queue pour aller pisser, danser un peu, s’asseoir par terre, se perdre, crier, montrer du doigt, faire la queue pour aller boire, se retrouver, sourire, transpirer, perdre un peu sa voix, avoir mal aux jambes. La nuit se fait noire. Il fait très chaud à l’intérieur du W. Dehors, il y a des averses orageuses. Il est peut-être quatre heures du matin. Et on entend un truc s’échapper du W.

Gesaffelstein – Viol

Immédiatement, une foule compacte se forme comme des particules réveillées par un magnétisme. L’atmosphère du W a mué. Elle devient autre chose, à la fois moite et métallique. C’est un antre qui appelle les êtres humains à réveiller une part oubliée, vestiges traînants dans une couche de sédiments tapissée au fond d’un lac profond de vieilles montagnes sévères. Un animal qui vient de se rendre compte qu’il est vivant. Il respire fort et ses pupilles cherchent quelque chose. Des bras se balancent avec une humeur saccadée, la lumière se fait plus blanche.

Gesaffelstein – Opr

L’animal s’estompe, il devient un être chamanique qui comprend les pulsations rythmiques, il arrive à sentir qu’on lui parle. Que le langage sort de ces immenses enceintes suspendues. Et qu’il faut lui répondre. Un dialogue s’installe. Les gens ne sont plus des gens. Ils sont des formes ombreuses. Ils bougent comme possédés, ce sont des ombres chinoises. Ils ne comprennent pas vraiment ce qu’il se passe ici. Que ce qu’il se passe ici, c’est un moment où il faut abattre des arbres et se repentir et pleurer. Où il faut se jeter dans un océan tumultueux.

Gesaffelstein – The Lack of Hope

L’océan s’est assagi. Il s’est fait miroir. Nous sommes tous ensemble, stables sur la fine couche de glace. Le soleil est noir ou plutôt c’est une éclipse. On voit la couronne de feu qui dessine son contour. Les gens sont devenus des végétaux qui se balancent avec un vent venu d’on ne sait où. Peut-être de ce bruit de bouche qui expulse de l’air dans le morceau. Les gens poussent, je veux dire : ils grandissent. On se retrouve au-dessus du miroir de glace, lévitant subtilement. Au-dessus de nos reflets glacés. Nous sommes dans Nous.

Je me souviens qu’il y avait des gens sur les poutres du Palais d’Auron. Ils fument en secouant leurs jambes dans le vide. Je vois deux potes là-haut. Où alors c’était ailleurs. J’ai tendance à mélanger les années, les gens, les visages, les prénoms. Je me souviens qu’on a mangé un sandwich plutôt dégueulasse.

Le texte publié ci-dessus a remporté le défi d’écriture de Et Baam autour du thème « Votre meilleur souvenir de concert ».

   

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