« À ce moment-là, il y avait eu la guerre dans les Balkans, le siège de Sarajevo, et j'ai plongé là-dedans parce que ça me passionnait, révoltait. Je suis devenue membre de l’association, Les mères pour la paix, qui s’occupe des femmes dans les pays en guerre, et à l'époque il n'y en avait pas tant que ça », raconte-t-elle.
C’est en septembre 2002, juste après la chute du premier régime Taliban qu’elle se rend pour la première fois en Afghanistan pour aider à la création d'une maison pour les femmes.
« Et puis, les taliban sont entrés, hélas, pour la deuxième fois à Kaboul, le 15 août 2021. »
Cette reprise de Kaboul a mis fin brutalement à de nombreux programmes de financement et de développement, dont ceux liés à l’éducation.
Les classes interdites : un acte de résistance
En février 2022, Dominique Dupuy crée l’association Nayestane pour offrir un enseignement secondaire aux jeunes filles afghanes.
« Il y a une vraie communauté qui s'est créée pour que ces gamines là-bas continuent d’aller à l'école. (…) Je me suis adressée à des gens que je connaissais en Afghanistan en leur disant que je voulais créer une classe. L'idée, c'est d’avoir une femme suffisamment éduquée à qui on va donner un programme et des matières à enseigner. L'Afghanistan est le seul pays au monde où les filles n'ont pas le droit d'aller à l'école après le primaire. Vu que l'enseignement leur est interdit à partir de la 6e, on a pris les classes interdites. On démarre en 6e et on va jusqu’à la Terminale. »
L’association finance ainsi des classes informelles installées dans une pièce dédiée à l’intérieur d’une maison, où une enseignante choisie pour ses qualifications dispense les cours.
« Ces femmes prennent le risque d'ouvrir dans leur maison une classe. On leur verse un salaire, on leur donne de l'argent pour équiper la classe : un tapis, un tableau, un bureau, les manuels scolaires, les fournitures. On donne aussi un peu d'argent au propriétaire de la maison pour le dédommager puisqu’on utilise son électricité, son eau, internet, etc. »
Au total, huit matières sont enseignées : les deux langues officielles du pays – soit le dari et le pachtou –, l’anglais, les mathématiques, les sciences (biologie et sciences de la vie de la terre), la physique, la chimie et l’éducation religieuse
Ni l’interdit, ni la peur ne freinent ces jeunes filles, les enseignantes et leurs familles : grâce au bouche-à-oreille, Nayestane compte dès sa première année 634 élèves. Fin 2023, ce chiffre grimpe à 1500 pour finalement atteindre, à la fin de 2024 environ 3000 élèves réparties dans 145 classes.
L’association compte 190 enseignantes : « Ce sont des femmes diplômées de l'université et interdites de travailler ou de terminer leurs études. Il y a malheureusement tellement d’Afghanes qui ont été interrompues dans des cursus brillants, qu'on n'a vraiment pas de mal pour les recruter. »
La sécurité avant tout
Les élèves prennent de grands risques pour accéder à l’éducation. Pour tromper la vigilance des taliban en cas de descente, les classes sont transformées en ateliers de couture. Les jeunes filles doivent se rendre en classe vêtues de manière strictement conforme aux règles talibanes, c’est-à-dire en noir de la tête aux pieds, sans aucun signe distinctif pouvant attirer l'attention.
« On demande à nos élèves d'être vraiment strictement habillées en noir de la tête aux pieds, de ne pas avoir la moindre fantaisie qui ferait qu'elles se feraient arrêter sur le chemin. On leur demande que dans leur sac, il n'y ait aucun livre, aucun. On leur met par contre toujours quelque chose pour coudre. On a équipé toutes les classes de machines à coudre et de tout ce qu’il faut pour faire croire que c'est une classe de couture. S’il y a une descente, le taliban – qui n'a pas le droit d'entrer dans une salle où il n'y a que des femmes – va dire qu’il veut faire un contrôle. À ce moment-là, le père va dire : ’’Avec plaisir, mais revenez avec une femme’’. Le temps qu'il retourne la chercher, on va tout transformer. »
Dominique Dupuy confie que « oui, il y a des peurs », mais « c’est une peur avec laquelle ils vivent ». « C’est un peuple de résistants. Les élèves ne veulent pas que la classe ferme. C'est tout ce qui leur reste. Il faut comprendre ça. »
Offrir une perspective professionnelle
L’un des défis majeurs est de donner à ces jeunes filles une perspective professionnelle dans un environnement où leurs opportunités sont inexistantes.
« Le plus compliqué, c'est quand elles arrivent en fin de cursus. On a une chute [de motivation]. Elles se demandent : ‘’Qu'est-ce que je vais devenir ? À quoi ça sert, puisque je ne pourrai pas travailler ? »
L’association cherche à orienter ces jeunes femmes vers des formations en ligne avec des certifications reconnues à l'international, afin qu'elles acquièrent, par exemple, des compétences en informatique et puissent travailler à distance.
Nayestane se heurte toutefois à des problèmes de financement pour pérenniser ses actions. « On a dramatiquement besoin d'argent », soutient Dominique Dupuy, précisant que chaque classe coûte environ 7000 euros par an.
Une levée de fonds a récemment été lancée pour que ces filles puissent ne pas renoncer au savoir et au développement de leur esprit critique.
En savoir plus sur l’association
- L’Afghanistan est le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école après le primaire. ©Nayestane
- Une levée de fonds a été lancée pour que ces jeunes filles continuent de prendre le chemin de l’école. ©Nayestane
- Selon un rapport de l’UNICEF, il y aurait environ 15 000 classes informelles en Afghanistan aujourd’hui. Certaines sont payantes, d’autres, comme celles de l’association Nayestane, sont gratuites. ©Nayestane
Thank you so much for supporting Afghan girls.